Nous les Z’émigrés d’ici et de nulle part

Nous les Z’émigrés d’ici et de nulle part

Quel que soit le ciel au-dessus de nos têtes, nous espérons une vie belle comme dans un conte et parfois pour que les étoiles le soir soient plus nombreuses nous allons ailleurs pensant bien sûr qu’ailleurs l’herbe est plus verte.

Nous, les fruits, de ceux qui ont fermement pensé cela, ou, qui n’ont pas eu le choix que de le penser, nous avons devant les yeux quelques nuages de plus en plus persistants nous empêchant de compter à notre guise ses étoiles tant espérées dans le ciel le soir pour nous endormir tranquilles.

Nous qui sommes d’ici et d’ailleurs en même temps, nous pratiquons, depuis notre plus jeune âge, un grand écart sans échauffement que toute première danseuse nous envierait.

Notre enseignement est riche et fût dense dès nos premières heures.

Nous avons appris dans le reflet miroir des larmes de nos mères, qu’il est possible de mettre toute une vie dans deux valises, cela demande une grande maîtrise du rangement de l’utile et du futile et un classement hors paire des souvenirs, et puis, dans le revers de manches qui essuie une joue, celle de nos pères, nous avons compris qu’il faut croire que là où l’on va nous sommes attendus et que si ce n’est pas le cas, il faudra nous montrer aimables, conciliants et meilleurs encore parmi les meilleurs.

Ainsi nos mères nous ont enseigné, aussi naturellement que les tables de multiplications, le respect à la différence dans la connaissance de celle ci, car là bas vivaient ensemble et sans heurts musulmans, juifs et catholiques. Cela allait de soit, tellement de soit que certains d’entre nous sont le fruit métissé, d’unions, faisant fi de ces différences de religions et de couleurs de peau.

Bien sûr, il nous a fallu du temps, pour comprendre, accepter et ne plus entendre les noms d’oiseaux qui chantaient à notre passage, il nous a fallu du temps, aussi, pour expliquer, répéter sans cesse, que non, nous ne sommes pas des amoureux transits du couscous chaque semaine, que non, nous n’égorgeons pas le mouton dans la baignoire à l’aïd el kebir, et oui, nous pouvons être catholiques, juifs ou musulmans ou rien et oui, une fois de plus nos passeports sont français, même s’il y a peu de temps encore , pour renouveler ce dernier il nous fallait tout notre arbre généalogique pour prouver notre nationalité.

Nous sommes français mais nous ne pouvons ignorer notre coeur, empreint des souvenirs de nos parents aux saveurs de cannelle et de cumin, de vent de sable et de soleil brulant.

Dans la quête de la connaissance et de la compréhension que nous ont transmis nos mères nous avons voulu savoir d’où nous venions. À quoi ressemblait ce fameux là bas, nous y sommes allés, nous nous y sommes perdus comme pour mieux nous retrouver.

Mais au fil des années, là bas, au même titre qu’ici, insidieusement s’est installé le sentiment d’être étranger, le grand écart que nous faisions enfants sans mal et sans nous poser de questions a disparu nous laissant cette désagréable sensation d’avoir les pieds dans le vide et à nos oreilles est venu raisonner de plus en plus fort le mot «émigré».

Nous nous sommes jetés sur la définition voulant toujours en savoir plus et au plus juste, le meilleur encore et toujours pour gommer aux yeux des autres la différence.

L’émigré est celui qui a quitté lendroit où il se trouvait pour un autre endroit, afin de sy installer durablement. 40 ans, 50 ans est-ce suffisant pour sonner avec durablement, ou faudra t-il attendre que nos enfants nous mettent en terre dans un cimetière français pour qu’à notre tour nous le soyons complètement ?

Des questions? C’en est une …

Extrait Rachid Taha « Douce France»